La nuit tombe sur le grand lac ; les dernières branches encore visibles se mêlent aux silhouettes des chauves-souris. La vallée s’endort déjà ensevelie dans les ténèbres et bercée par le coassement incessant des crapauds qui se répercute à tous les échos.
La prisonnière, séquestrée derrière des murailles de béton hermétiquement fermées, parvient miraculeusement à s’évader en se glissant lestement entre les lamelles d’acier. Elle s’en va trébuchant, titubant, à travers les sentiers de l’espoir. Plus elle s’éloigne, plus elle prend des forces. Elle divague par moment mais reprend vite son lit et ses esprits . Elle s’en va, en douce, sans se retourner, défiant les galets du rivages et le dérapage des virages…

Le jour se lève. La fugitive, heureuse d’avoir retrouvé sa liberté, sourit au soleil . Son visage luisant émet des étincelles qui enchantent le paysage. Elle gambade, rit en clapotis et culbute à tout accident de terrain. Elle s’en va , chatouillant les roseaux, cajolant les lauriers roses, embrassant les talus herbeux. Cet enivrement la rend plus claire, plus douce, plus fraîche.

A midi, elle fait un petit somme sous l’ombre des grenadiers et des orangers de Mehaïoula. Une douce sieste bercée par le perpétuel bruissement du feuillage et le froufrou des écumes des rives…

L'évadée se réveille, fait un brin de toilette et reprend sa course effrénée. A la vallée étagée, succède une douce plaine alluviale, légèrement ondulée. Les berges deviennent de plus en plus verdoyantes. La fuyarde glisse, somptueuse, et se laisse entraîner par son élan.
Après un virage inattendu, elle aperçoit sur la rive gauche, un tableau fascinant qui l’ébahit. Emue, elle vire de bord et de couleur. Elle devient une onde verdâtre aux bords , bleuâtre au centre et prend une carrure incommensurable.
Une fois les ponts dépassés, elle s’arrête pour saluer et admirer Azemmour qui trône majestueusement sur une haute falaise escarpée, noircie par le temps. Cette ville chérit tellement Oum Errabia qu’elle s’y agrippe, y baigne et s’y reflète.. Belle ville blanche, perchée hardiment sur un talus, écarquillant ses lucarnes pour contempler éternellement les cours des eaux et de l’histoire.

La façade riveraine , aussi splendide soit-elle, cache des merveilles plus fascinantes. La médina regorge de remparts, de zaouïas, de kasbas. Ses maisons basses, blanchies à satiété, aux seuils crevassés, gardent jalousement les secrets d’une ville bi-millénaire. Ses ruelles sinueuses, racontent la glorieuse épopée du « rameau d’olivier », la ville paisible et prospère et d’ « Azama », la ville guerrière refoulant envahisseurs et corsaires.

Quand on arpente nonchalamment la principale artère de la médina, hors de l’enceinte de la citadelle, on s’enlise dans une ruelle grouillante, rétrécie par les étalages, à même le sol, d’une variété de menus articles ensorcelants. Chacun exhibe:poteries ornées, motifs de henné, tams-tams(taarijas) décorées...Les lignes et les couleurs s'entrelacent d’une manière à la fois spontanée et harmonieuse et font de ces braves gens des artistes de père en fils et de mère en fils, à l’instar de Houssine et Chaibia Tallal.
La ruelle montante culmine au sanctuaire du Saint vénéré, Moulay Bouchaib Erreddad , « le donneur de garçons » comme le dénomme certains pèlerins en quête de fécondité ou de naissances masculines.

Les azemmouris, citadins enracinés et fins de surcroît, maîtrisent habillement l’art de la convivialité. Réputés chauvins, sans être xénophobes, ils se plaisent à évoquer, à tout propos, le passé d’une cité jadis, plus célèbre que Fes, une cité qui a donné des fils illustres et de grands "raïs" tel que Said Benhaddou, Estivanicos, le gouverneur de Floride.

Azemmour, où sont tes cafés maures tapissés de nattes de jonc où circulaient ces verres de thé bombés gorgés de menthe? Où sont tes vergers et tes norias ? Où sont les fameux plats d’alose ( Chabel) du bon vieux temps ? Azemmour d’antan n’est plus qu’un vague tableau poétique où se chevauchent les pinceaux de Dibaji, d’Al Azhar, de Habbouli,de Kalmoun, de Khallouk, de Chrigui, de Lahlal , d'El Amine, de Hamidi et de bien d’autres maîtres de la peinture, car, c’est connu de part le monde, les azemmouris sont artistes de nature.

Notre fugitive a tout vu, tout entendu. A la fois fière et émue , elle retient difficilement ses sanglots et avance en s’inclinant humblement aux seigneurs riverains : Sidi Ouadoud et Lalla Aicha El Bahria. Juste après, elle ouvre tout grands ses bras en un large estuaire et embrasse chaleureusement sa mère,… la mer.


Mohammed Marouazi


Copyright © 2006 www.maroc.site.voila.fr (Ramages, Le Maroc en mots et en images)-www.maroc@gmail.com